Ambiance concentrée et écriture haletante, chapeau.
(Maintenant go lire la page Wikipedia d'Hinterkaifeck)
Bofang
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Quand IA que l'amour
En ce deuxième jour de confinement, je m’ennuyais un peu. La centaine de jeux à ma disposition me tétanisait : la classique paralysie du choix. Celle qui nous fait scroller Netflix pendant une demie-heure, l’œil vitreux et le cœur vide. J'en étais à faire de même sur itch.io, quand un titre a accroché mon œil (l'autre, le moins vitreux). BUDDY SIMULATOR 1984. Entre donc ami virtuel et embrasse-moi. N'aie pas peur, j'ai mis du gel hydroalcoolique sur mes joues.
"Buddy Simulator 1984 simule l'expérience de passer du temps avec son meilleur ami". On a beau être misanthrope, quand votre dernier contact humain extérieur remonte à 48h (la boulangère), cet argument touche au cœur. Profitant que ma compagne, un peu à fleur de peau à cause de la promiscuité, fut occupée à dessiner au sol la ligne de démarcation de SA partie du studio, j'ai dis bonjour à mon nouveau meilleur ami.
Il était très textuel, brut de physique mais doux de caractère, comme les camemberts des publicités. D'abord, j'ai choisi son nom. Ensuite, je me suis présenté. Il m'a demandé ces choses futiles qui meublent si confortablement un premier rendez-vous. Mais avec lui, aucune gène, même lors des silences. Pour briser la glace, il m'a proposé quelques jeux. Des choses basiques, qui mettent tout le monde à l'aise. On a joué à "devine le nombre auquel je pense", à pierre-feuille-ciseaux, et on a fini par un bon vieux pendu. Dans la simplicité de ces petits jeux, il s'est toujours efforcé de mettre un peu de moi. Comme pour me montrer, au moment de notre amitié naissante, qu'il allait être une oreille attentive à mes états d'âmes.
Ensuite, mon ami a montré de la gène pour la première fois. Il voulait pouvoir me proposer plus profond que ces jeux, mais devait composer avec ses modestes capacités logicielles. Il s'est concentré très fort pour me raconter une histoire. Au début, c'était nul. Mais touchant. Visiblement pas dupe de ma bienveillance critique, il a décidé d'aller encore plus loin. Avec mon aide, il a augmenté ses forces. Alors il a pu m'emmener dans une histoire dont vous êtes le héro simple. J'ai joué le jeu. On a passé un moment pas désagréable.
Goodbye my friend
Quand je le croyais au bout, il a dépassé ses limites, déformé ses lignes de texte pour me construire un chez moi virtuel ! Je lui avais donné vie sur mon écran, et il me recréait dans son monde.
Brutalement, dans un déchirement d'écran épileptique, j'étais de retour sur le froid bureau de mon PC.
Il n'était qu'un programme pas terminé, il s'est épuisé pour moi.
Il est parti avant même que j'ai pu lui dire merci.
Et je suis encore plus seul qu'il y a 30 minutes.
Des traces d’EHPAD sur le sable
Quand j’étais gamin, j’allais acheter des œufs chez “Milie”, la voisine. A 75 ans bien tassés, elle fauchait toujours son foin, qu’elle montait au grenier à la fourche, sur une échelle en bois. Elle était veuve depuis bien avant la retraite, sans enfants. Le sol de sa maison était en terre battue. Je me souviens de ses mains, quand j'y posais la pièce de 10 francs. A 8 ans, je savais déjà que jamais je n’aurais sa poigne. Quand elle ne s’est plus sentie capable de s'occuper des lapins, des poules et du potager, elle a déménagé à deux kilomètres, dans une maison avec du carrelage. Quelques années après, la maison de retraite a suivi. Elle est repassée par le village pour son enterrement, et est repartie en emportant un bout de la campagne avec elle.
The Stillness of the Wind est la suite de Where the Goats Are, ou plutôt, selon son créateur Coyan Cardenas, sa version complète. On incarne Talma, une vieille femme seule en milieu rural, et on s’occupe des chèvres et du potager. Le facteur, un ami d’enfance, sera votre seul contact humain direct. Au fil des lettres reçues, on prend conscience de qui est notre héroïne. L’exode rural a dilué sa fratrie. Pour des emplois prestigieux, pour les études...Tous ont quitté le village. Elle suit ses frères, sœurs, enfants et petits-enfants de manière épistolaire. Traire les chèvres, faire du fromage, aller au puits, semer des graines...le jeu est une routine dont l’arrivée du courrier constitue le temps fort.
Alors qu’on se croyait au départ dans un coin de désert maghrébin, la prose de nos correspondants nous fait entrevoir un monde semi-fantastique : le vocabulaire mystique, la mention de colonies sur la lune et la poésie dans chaque nom d'objet. Le lecteur de SF y trouvera sans doute un peu de Damasio, notamment par la présence constante du vent, et la mention d’un “part-delà” évoquant forcément la “Zone du dehors” ou “L’extrême Amont”. Le fin lettré y verra l’influence du classique de la littérature espagnole 100 ans de solitude, de Gabriel García Márquez. L'auteur dit s’être inspiré de cette pierre angulaire du “réalisme magique”.
Le rendement du lopin de terre de mamie a de quoi faire pleurer la FNSEA. Ici, on ne ramasse pas les radis à la remorque comme dans Stardew Valley, et la vieille cabane des chèvres restera décrépie jusqu’au bout. Il s’agit simplement de (sur) vivre, d’assurer aux chèvres leur dose vitale de foin. L’existence consiste à attendre l’avancée de l’histoire, coupé du monde, par les mots de nos proches. La ville, au loin, s’obscurcit peu à peu, dans un crépuscule qui coïncide avec celui de la vie de l’héroïne. The Stillness of the Wind est un concentré qui parvient à faire frissonner avec un environnement réduit et 10 pages de texte, sur des thématiques originales.
https://lagazettedugame.com/2019/03/13/the-stillness-of-the-wind/
Ivre de la jungle
En 2004, deux événements majeurs sont restés dans nos mémoires à tous. D’abord, Valéry Giscard d’Estaing était reçu à l’Académie Française. Ensuite, en décembre, un tsunami nous apprenait qu’apparemment, en Indonésie, il y a d’autres îles que Bali. C’est sur celle de Sumatra que la petite équipe de Cloak and Dagger nous envoie. Mais ne comptez pas vous prélasser sur la plage.
Sumatra : Fate of Yandi nous fait donc vivre le destin de Yandi, jeune homme employé dans le secteur porteur de la déforestation (investissez, c'est l'avenir). Par un après-midi lourd et poisseux, son (enfoiré de) boss l’envoie, lui et son meilleur ami Ramdan, collecter des rondins après la moisson. Après un glissement de terrain en milliers de pixels, Yandi se retrouve égaré dans la vallée infernale jungle. Reverra-t-il un jour Adiratna, sa bien aimée ?
Liane folie.
Pour s’extirper de cette jungle luxuriante il faudra, vous vous en doutez, collecter, rassembler et faire interagir des éléments par dizaine. Une bonne partie du lectorat déjà pas fan de Pointer-et-Cliquer est en train de quitter la salle, et j’ai des objectifs d’audience à tenir*. Passons donc rapidement sur les qualités visuelles du jeu. Voilà, c’est fait. La bande-son, à présent : imaginez un silence entrecoupé chichement de bruits libres de droits. Une mélodie originale est tout de même présente pour marquer les moments forts de l’histoire.
Y'a le texte, aussi.
Car le point fort du jeu, c’est son écriture. Sumatra : Fate of Yandi est l’antithèse du jeu magnifique visuellement mais mort à l’intérieur. Un aspect que son pitch, déjà, laisse entrevoir, mais qui est ensuite développé bien plus qu’on pourrait l’imaginer en voyant sa gueule de pixels un peu raide. Il est question des hommes qui déforestent, qui assouvissent leur soif de richesse en exploitant d’autres hommes qui, eux, participent au massacre par absence de choix, pour survivre. La place des peuples qui vivent dans ces lieux boisés est, elle aussi, largement mise en scène. Jusqu’à son final doux amer (qu’on atteint en 4-5h), le jeu recèle d'autres surprises que je vous laisse découvrir.
https://lagazettedugame.com/2019/07/07/sumatra-fate-of-yandi/
Le fond du terroir
La Corrèze, ce n'est pas seulement l'un des fiefs de Nexter, prestigieux fabriquant d'armes qui fait la fierté de la France. C'est aussi dans ce département qu'officie La Poule Noire, petit studio qui planche actuellement sur Edgar - Bokbok in Boulzac, un jeu narratif en 2D. Si les perspectives d'export vers l'Arabie Saoudite sont ici quasi nulles - on ne bombarde pas des écoles avec des jeux vidéo - le projet s'avère malgré tout intéressant.
Dans la démo de 30 minutes, les présentations avec Edgar sont simples comme une poignée de main au PMU. Comme souvent avec les protagonistes ruraux, l'enjeu posé est simple mais vital : réparer le vaporisateur pour éloigner les parasites des précieuses courges. S'en suit un enchaînement de rencontres pour parvenir jusqu'à la doyenne du village, détentrice d'une sagesse propre aux centenaires. Tout du long nous suit Pépette, dodelinante poule noire.
Tout plaît immédiatement dans chaque tableau, du pléonastique pêcheur alcoolique à l'intérieur du bar du coin. On sent dans l'écriture l'amour des développeurs pour les expressions du cru bien placées. Si cet humour peut paraître facile à certains, cette courte démo donne déjà des indices sur la volonté du studio d'aller au delà. C'est à la lecture d'un "Viens-là petit con !" jeté à l'adresse d'un chat qu'on signe la promesse d'achat. On attend la sortie comme l'ouverture de la chasse.
https://lagazettedugame.com/2019/08/18/edgar-bokbok-in-boulzac-preview/
Grandir, c'est mourir un peu.
Non contents de tuer les lundis, les suédois de Killmonday ont décidé de tuer l’été avant sa fin officielle. Dans Little Misfortune, les feuilles tombent déjà, et dès 17h les rayons du soleil orange dardent leurs rayons à travers les bosquets pour nous niquer les yeux. Un matin, la petite Misfortune Ramirez Hernandez, 9 ans, entend une voix off qui lui promet le “bonheur éternel”. La gamine - dont le taux d’espièglerie égale la mignonnitude - entend bien gagner ce lot et l’offrir à sa maman. Maman qui picole dans la cuisine, en attendant que papa-violent rentre décuver. Ce mélange de mignon-glauque est saupoudré de milliers de paillettes d’humour.
Un humour drôle, en plus. Il fallait bien ça pour éviter une vague de dépressions massives chez les joueurs les plus fragiles. Ce détachement face aux drames évoqués, on le doit souvent à l’âge de notre héroïne, qui la protège encore - pour peu de temps - de la violence crue de la vie d’adulte. Entre mille et autres thèmes abordés, on peut choisir de voir dans Little Misfortune une œuvre sur l’enfance qui meurt. Sur le vernis de l’imaginaire qui craquèle plus ou moins vite selon les parcours. Dans les instants fugaces de légèreté et de rire salvateurs, c’est comme si le jeu nous tapait sur l’épaule d’une main empathique pour nous dire : “Te bile pas va, ça fait partie du lot quand on est vivant ! “. Je pleurs pas, c'est le soleil.
Transe Palette
Wilmot est un petit cube dur à la tâche. Nouvelle recrue de A5-Logistics, il réceptionne les livraisons avec le sourire, trie et range les produits dans l’immense surface vide. Petit à petit, comme les allées de cette grande réserve, son cerveau se remplit d’informations cruciales. Les croquettes sont au fond à droite après le pilier, avec les gamelles. Les fruits et légumes sont rassemblés à gauche du quai de chargement, dans l’ordre : radis, pommes, pastèques. Quelle belle première matinée !
Une fois le rangement (chronométré) terminé, il est temps de donner aux collègues les produits que réclament nos chers et estimés clients ! Pour acheminer tous les merveilleux articles au comptoir, il faut bien moins que les 2 minutes réglementaires. Wilmot a terminé sa première livraison bien avant le délai. Il sonne avidement la cloche et gagne 5 étoiles d’efficacité ! Ces précieux bons points lui permettent d'acheter différentes upgrades. Il choisit d’investir dans plus de muscle. Maintenant, il peut porter non pas 6, mais 8 colis à la fois.
John “Fen” Wick.
Toutes ces petites icônes acidulées font le bonheur de Wilmot. Comme il est grisant de les emboîter, les tourner, les agencer de la manière la plus logique. Et puis la fierté surtout, de pouvoir livrer notre très aimable clientèle rapidement, grâce au seul pouvoir d’un cerveau rigoureux. A la fin de chaque cycle de livraison (déchargement - rangement - livraison aux collègues), le catalogue de Wilmot s’enrichit de 4 nouvelles références. Des bougies, des canifs, des champignons, des médicaments…
Et puis un jour, Wilmot perd pied. 30 produits différents dont il il faut retenir l’emplacement, ranger et livrer avec les mêmes limites. 40. 50. Vient le premier échec de livraison et le premier avertissement du patron, naguère si gentil. Wilmot stresse. Il s’efforce de ranger ses palettes, mais bientôt l’encombrement de la réserve rend la manutention infernale. Wilmot continue de sourire, mais de l’autre côté de l’écran la frustration gagne. Il voudrait réaliser ces objectifs innategnables, coller au credo d’excellence de l’entreprise. Le client veut tout, tout de suite ! LE CLIENT EST ROI ! Mais Wilmot n’est qu’un homme. Alors, dans l’attente d’une fatidique lettre de licenciement, il souffre. Comme un vrai salarié d’Amazon.
Wilmot’s Warehouse fait jubiler le magasinier en nous. Le jeu alterne les phases de rangement pures (par des plages non-chronométrées) avec un challenge qui grandit jusqu’au burn-out. L’effondrement logistique et mental est inévitable, mais on se prend suffisamment longtemps pour le prince du Fenwick en améliorant les capacités de Wilmot, et notre propre sens de l’ordre. Si vous êtes chef de rayon, vous pouvez faire compter votre temps de jeu en heures supplémentaires.Ces dernières années, le jeu vidéo a fait quelques incursions dans les musées. Il était temps que le travail des artisans du milieu viennent prendre un peu de place sur les murs réservés aux monochromes et autres merveilles de l’esprit humain. KIDS, c’est un peu l’inverse : l’œuvre abstraite s’est échappée d’un musée pour arriver sur nos moniteurs crasseux. Contrairement à un chef-d’œuvre au Ripolin, on peut se la procurer pour trois sous.
KIDS est un court-métrage interactif, où l’on oriente de petits personnages à la souris. On clique et les bonhommes réagissent, ça aurait pu être désuet et drôle. Mais la sensation de malaise surgit bien, fugace, devant ces petits êtres agglutinés. L’ambiance sonore contribue fortement à faire naître l’étincelle de l’angoisse. Dans ce monde en noir et blanc, on semble ordonner la vie et la mort. Suis-je un sauveur ? Suis-je Dieu ? À moins que ce troupeau ne court seul à sa perte, incapable de s’organiser. La vraie angoisse serait d’être un des leurs. Ha zut, ils m’ont eu : j'interprète.
Les amateurs d’animation et les fumeurs de shit gras trouveront dans KIDS matière à gamberger sur l'anthropocène, la création, le panurgisme, la vie, la mort...
Les agoraphobes masochistes sont également bienvenus.